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Aude Pénouty Cultural Broker

Aude Penouty : émissaire du sourcing textile durable

 
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Nous croulons sous nos vêtements, littéralement.
Sur les 5 millions de tonnes mises sur le marché chaque année en Europe, 4 millions seront jetées. [1] En France, cela représente à peu près 9 kilos de textile par an et par adulte, dont seuls 2,5 Kilos seront recyclés.[2] La mode est une des industries les plus polluantes, mais le constat de l’impact négatif de notre consommation excessive dépasse largement le seul aspect environnemental pour englober des enjeux sociaux et éthiques essentiels.
Face à cette situation la conscience des consommateurs s’est éveillée. Même si nos préoccupations restent en priorité la qualité du vêtement et un prix raisonnable, le développement durable est devenu une donnée importante pour une majorité d’entre nous. Le vêtement de seconde main représente une option pérenne pour près de 30% des français et la réparation et le reprisage connaissent un essor important [3] .
L’industrie textile l’a bien compris, elle qui, avec l’amplificateur que sont les réseaux sociaux, se retrouve désormais très exposée aux yeux de clients qui réclament plus de transparence et d’intégrité.
C’est justement pour accompagner et encourager cette prise de conscience des marques de mode qu’Aude Penouty a créé en 2014 Entada Textile. Elle les aide à s’engager dans une transition vers la durabilité et met à leur disposition son expérience tant dans la création que dans la production. Rencontre avec une hyéroise qui fait durablement bouger les lignes de la mode.

Un parcours international

Aude est hyéroise et très attachée à la ville de son enfance.
C’est au terme d’un parcours qui l’a menée de l’Afrique à l’Asie qu’elle est revenue y vivre depuis deux ans. Elle a d’ailleurs choisi l’Entada, liane aux cosses géantes qui pousse dans les régions tropicales d’Afrique et d’Asie, comme un symbole de ce lien qu’elle continue d’entretenir entre ces deux continents.
Adolescente elle a découvert la mode grâce à La Villa Noailles et au Festival International de Mode et de Photographie, auquel elle prenait part, comme beaucoup de jeunes hyérois en tant qu’habilleuse sur les défilés.
Une étincelle qui a ravivé un lignage familial autour du textile, qui prend ses sources le long de la route de la soie et dans le magasin de confection de ses grands-parents et l’a menée à suivre les cours de l’école ESMOD et à s’y spécialiser en lingerie.
Son diplôme en poche, elle part à New-York puis à Milan pour faire un Master de Design, qui lui offre une vision plus globale de la création, mais aussi de son processus d’industrialisation. C’est d’ailleurs dans l’usine de maille milanaise ou elle travaille, qu’elle commence à se passionner pour le développement durable.
Le déclic se fera en Asie. Elle revient d’un voyage en Inde avec la conviction que son avenir dans le textile se jouera sur ce continent et s’installe au Vietnam, un pays dynamique qui connaît une forte croissance et est doté d’un tissu industriel textile moderne et d’un droit du travail protecteur des salariés. Elle va y développer plusieurs projets en synergie, un co-working réunissant des jeunes porteurs de projets autour du textile durable, une boutique proposant des produits éco-conçus, une marque de lingerie, qu’elle produit dans un atelier parrainé par l’association Fashion Revolution et une activité de conseil en développement durable auprès de marques de modes qui produisent en Asie. Sept ans au cours desquels elle va accompagner des marques basées en Grande-Bretagne, en Australie, à Hong-Kong, qui ont choisi de délocaliser leur production au Vietnam plutôt qu’en Chine, où les volumes minimum demandés par les usines sont souvent trop importants et les coûts de transports ajoutés, difficiles à supporter pour de petites marques. Ils vont y trouver grâce à Aude, des partenaires choisis pour leur adéquation avec leur projet et leurs contraintes, leurs savoir-faire, leur fiabilité et leur transparence.

La Cultural Broker, une passeuse de messages

Aude a créé ce métier de cultural broker.

Travaillant depuis 15 ans, dont 12 années passées à l’étranger  sur 5 continents différents, elle s’est forgé un référentiel culturel très vaste. Ce bagage lui sert à créer des ponts et à faciliter le dialogue entre les marques et leurs fabricants, dont les repères sont très différents. Elle comprend les besoins et attentes des différents interlocuteurs et utilise cette connaissance comme une donnée qu’elle met à disposition de ses clients, comme le ferait un courtier (Broker en anglais).

Les clients qui se tournent vers elle ont différentes attentes. Il peut s’agir d’accompagner un grand groupe dans sa stratégie RSE[4] ou, au contraire, de participer à la création d’une nouvelle marque, dont la durabilité est au cœur du projet, mais aussi, de travailler sur le développement d’une collection capsule durable pour une marque qui n’est pas encore pleinement engagée dans cette démarche. Aude ne voit pas ce dernier type d’expérience d’un œil négatif à partir du moment ou bien évidemment, il ne s’agit pas de réaliser une opération de Greenwashing[5]. Elle aime encourager les premiers pas d’une marque vers cette évolution durable. Son crédo est de mettre ses compétences à disposition, de prendre en compte l’environnement d’une marque, ses contraintes, les enjeux parfois politiques au sein des grands groupes et de créer un dialogue afin de faire passer des messages.

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Une approche systémique basée sur la transmission

Une démarche 100% neutre est impossible car à partir du moment où l’on met un produit sur le marché il aura forcément un impact. Il faut donc limiter son aspect négatif au maximum.

Pour Aude, il s’agit d’accompagner une évolution nécessaire et inévitable, plutôt que de faire la révolution. La mode est un système, les consommateurs ont pris l’habitude d’acheter des produits peu chers dont ils se lassent vite et les marques de fast-fashion ont imprimé durablement ce mode de consommation dans nos esprits, mais aussi sur tout le système de mode, jusqu’au luxe, qui propose de plus en plus de collections pour satisfaire des clients avides de nouveauté.

Qui est la poule, qui est l’œuf ? Comment freiner cet emballement ? La décroissance semble une voie, mais elle est ardue et risque aussi de déséquilibrer gravement les pays producteurs qui dépendent désormais de notre demande pour vivre. [6]

Aude voit ce système dans son ensemble. Une démarche 100% neutre est impossible car à partir du moment où l’on met un produit sur le marché il aura forcément un impact. Il faut donc limiter son aspect négatif au maximum.

Elle met ses connaissances et son expérience au service des marques, pour rechercher des matières ou des fabricants, développer des concepts, identifier une tendance ou développer un produit spécifique. Son intervention a pour but d’effectuer un transfert de compétences afin que les marques deviennent autonomes. C’est aussi dans ce partage que se situe pour elle l’avenir du développement durable. Il lui semble indispensable de laisser l’information circuler, de pratiquer l’open source.

Rechercher, écrire et transmettre

La clé de voute de sa démarche est un travail de recherche et de veille constant qu’Aude a mis en place depuis longtemps. Elle est à l’affut des données du marché, lit énormément la presse internationale, intervient sur des salons professionnels. Elle partage ces informations sur son site et via de nombreuses publications car cela permet de mettre les idées en action et de faire avancer.

Son exercice favori nous confie-t-elle est de « mentorer » des jeunes marques, qui ont inscrit la durabilité au sein de leur ADN. C’est là qu’elle joue à plein ce rôle de transmission qu’elle affectionne. Dans cette optique et dans le contexte du confinement et d’échanges distanciés elle vient de développer une « master class » en ligne, à destination des professionnels de la mode pour leur apprendre à maitriser leur sourcing durable.

La crise mondiale due à la pandémie et cette émergence d’un nouveau type de télétravail a rebattu les cartes et imposé une décentralisation, même dans le secteur de la mode, autrefois tellement identifié à Paris. Exercer son activité à Hyères prend pour Aude tout son sens, tant la ville porte haut le flambeau de la création de mode, grâce au rayonnement international du Festival de Mode et de la Villa Noailles. Pourquoi ne pas imaginer initier des actions de transmission auprès d’un public en formation, mais aussi implanter des savoir-faire liés au secteur de la mode, autour d’un incubateur ou d’un Fablab[7] ? L’Entada n’est-elle pas notamment utilisée pour favoriser les rêves en médecine traditionnelle africaine ? Une vertu dont l’entreprise que mène Aude Penouty a sans aucun doute hérité, avec celle supplémentaire de savoir les transformer en réalité. 

 

[1] Ellen MacArthur Foundation, A new textiles economy: Redesigning fashion’s future (2017)http://www.ellenmacarthurfoundation.org/publications

[2] Source ADEME https://multimedia.ademe.fr/infographies/infographie-mode-qqf/

[3] Sources Etude ThredUp https://www.thredup.com/resale/ et IFM Etudes et Chiffres Clés Consommation et habillement 2020 https://www.ifmparis.fr/fr/etudes-et-chiffres-cles/2020-consommation-textiles-habillement-1-1

[4] La Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) désigne la prise en compte par les entreprises, sur base volontaire, et parfois juridique, des enjeux, environnementaux, sociaux, économiques et éthiques dans leurs activités.

[5] Le greenwashing (éco-blanchiment) est une méthode de marketing consistant à communiquer auprès du public en utilisant l'argument écologique. Le but du greenwashing étant de se donner une image éco-responsable, assez éloignée de la réalité... La pratique du greenwashing est trompeuse et peut-être assimilé à de la publicité mensongère. Source Novethic

[6] https://fr.fashionnetwork.com/news/La-mode-britannique-annule-2-5-milliards-de-livres-de-commandes-au-bangladesh,1211135.html

[7] Atelier mettant à la disposition du public des outils de fabrication d'objets assistée par ordinateur.